Perçue comme une formidable avancée sociale lors de sa création en 1945, la Sécu ne remplit plus correctement sa mission aujourdhui. En réduisant petit à petit son périmètre dintervention, la branche maladie a créé de profondes inégalités dans laccès aux soins. Pour les nombreux participants au Forum & Débat organisé par la mutuelle MCRN le 19 novembre dernier à la Manufacture des Tabacs de Nantes, et intitulé « Et si la Sécu disparaissait ? », le message est clair.  Elle doit impérativement trouver un nouveau souffle.

La Sécu, un bien commun à défendre

Si la Sécurité Sociale n’a pas disparu, tous les participants se sont accordés sur le fait qu’elle avait profondément changé de nature et qu’elle s’était éloignée progressivement de ses principes fondateurs. À un point tel qu’il fallait la repenser entièrement. Pour Philippe Abecassis, membre de l’association Les Économistes Atterrés, « on pourrait imaginer que la Sécu, comme la protection sociale dans son ensemble, redevienne un bien commun géré collectivement de façon démocratique et autonome ». Le couple sécu-mutuelles serait aussi à revoir. « La raison d’être des mutuelles nest pas de rembourser les soins », a rappelé Pascale Vatel, secrétaire générale de la Fédération des Mutuelles de France. « Il sagit plutôt de permettre laccès aux soins de tous, de la façon la plus égalitaire possible ». Plus radical, et plus provocateur vis à vis des mutuelles et de la Mutualité, le sociologue Frédéric Pierru (qui a collaboré au film « La Sociale ») a avancé l’idée d’une Sécu qui rembourserait « seule, à 100%, de façon égalitaire et efficiente. » Autant de pistes enrichissantes, à explorer collectivement, mais qui viennent télescoper une réalité beaucoup moins réjouissante.

De gauche à droite: François Fillon (magazine Viva), Philippe Abecassis (économiste) et Frédéric Pierru (sociologue).

Jeanine Moreau (UD CGT), Hélène Artigue Cazcara (CCAS-Nantes), Dr Ronan Jégot, Olivier Terrien (CGT CHU de Nantes), Pascale Vatel (FMF) et Jean-Luc Landas (Coordination Nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité)

 

Une Sécu dénaturée et en mauvaise santé

Car on peut dire aujourd’hui que la Sécu est en mauvaise santé ! C’est si vrai que ses pères fondateurs ne la reconnaitraient plus. Placée sous la tutelle de l’Etat, elle a perdu toute autonomie. Chaque année, la loi de financement de la sécurité sociale (Lfss) fixe par exemple, de façon arbitraire, un objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) à ne pas dépasser. Pour 2020, l’Ondam est fixé à 2,3%, une augmentation inférieure aux besoins réels du pays. 

C’en est fini également du principe d’universalité. La mise en place de l’ANI en 2016 a été le dernier coup de grâce : en obligeant les employeurs à proposer une couverture collective à leurs salariés, excluant de fait les chômeurs et les retraités, ce dispositif a « segmenté » encore un peu plus la population. 

Diminution des recettes et des dépenses

En jouant enfin sur les recettes et les dépenses de la Sécu, par un effet de ciseaux, les gouvernements successifs ont transféré des charges de plus en plus importantes sur les mutuelles. Avec un effet sur les cotisations, fortement taxées, qui pèsent de plus en plus sur le budget des ménages. Par ailleurs, les mutuelles évoluent aujourd’hui dans un système hyper-concurrentiel, marqué par une forte concentration des acteurs. Si on ajoute à cela : un hôpital public en état d’asphyxie financière et plus de 3 millions de personnes sans complémentaire santé, on peut diagnostiquer que le système de santé est vraiment très mal en point.

Mais comment en est-on arrivé là ?

Lors de sa mise en place, la Sécu a pourtant été perçue par une majorité de Français comme une avancée sociale extraordinaire, porteuse de progrès dans l’accès aux soins et dans la réduction des inégalités. « Son talon dAchille, cest son optimisme, car elle reposait sur lidée dune croissance perpétuelle. En 1975, au sortir du 1er choc pétrolier, la Sécu connait son premier déficit », a expliqué Philippe Abecassis. Depuis cette date, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de diminuer les ressources de la Sécu, en baissant notamment les cotisations. Cela, tout en diminuant son périmètre et en la recentrant sur les gros risques (affections de longue durée par exemple), en créant des restes à charge de plus en plus importants et en mettant en place des « outils » de régulation, en vogue dans le monde des entreprises, comme l’Ondam.

La santé, un marché hyper-concurrenciel

Dans le même temps, les mutuelles ont été amenées à intervenir de plus en plus sur les petits risques. Et cela, dans un « marché » de plus en plus concurrentiel, où les assureurs, par exemple, ont importé leur force de frappe et leurs méthodes de calcul du risque, forçant ainsi les mutuelles à venir sur leur « terrain », en créant par exemple des classes d’âge, des « produits » prenant en charge les dépassements d’honoraires. « Le cas américain aurait dû nous éclairer », souligne Frédéric Pierru. « Dans le domaine de la santé, la concurrence cela ne marche pas ! ». « Cest un fait que le mouvement mutualiste est aujourdhui fragilisé », admet Pascal Vatel. 

Lhôpital public en asphyxie financière

Dans un autre domaine, peu de gens savent que l’hospitalisation est devenue le principal poste de remboursement des mutuelles. Instauration de franchises, du forfait hospitalier, des dépassements d’honoraires, des forfaits chambre particulière… L’arsenal des mesures renforçant la participation des mutuelles est impressionnant. « Les hôpitaux font les poches des mutuelles, en facturant notamment, et de façon abusive, les chambres seules. Ce qui nempêche pas lhôpital public d’être en grande difficulté. Budgets insuffisants, burn-out du personnel, fermeture de lits, de maternités de proximité, souffrance des patients attendant des heures aux urgences notamment, lhôpital public est malade », reconnait Olivier Terrien, secrétaire CGT au CHU de Nantes.

Importance des centres de santé mutualistes

De leurs côtés, certaines mutuelles, comme la MCRN, font de leur mieux pour rester solidaires et pour atténuer les inégalités. Les centres de santé mutualistes en sont un bon exemple : ils pratiquent le 1/3 payant et acceptent tous les assurés sociaux, sans discrimination. A l’image du fonctionnement du centre de santé dentaire de la Mcrn-Ssam, mutuelle « soeur » de la MCRN. Au passage, Jean-Luc Landas, praticien à la retraite et membre de la Coordination Nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, a rappelé qu’il ne fallait pas confondre centre de santé et maison de santé. « Dans ce dernier cas, les praticiens sont libéraux et peuvent exercer en secteur 1 ou 2 ».

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Emmanuelle Caillé, directrice de la Mutualité Française Pays de la Loire.

En région Pays de la Loire, la Mutualité Française propose une offre de soins intéressante. « Ainsi que des dispositifs daccompagnement travaillant par exemple sur lautonomie ou la déficience sensorielle », a expliqué Emmanuelle Caillé, la directrice pour les Pays de la Loire. Au CCAS de la ville de Nantes, les assistantes sociales font aussi un gros travail sur l’accès au droit. « Avec la mise en place de la Complémentaire Santé Solidaire (CSS), fusionnant CMU-C et ACS, les usagers concernés sont un peu paniqués », a témoigné Hélène Artigue Cazcara, assistante sociale. « Nous les renseignons et les accompagnons au mieux : nous les aidons à remplir les formulaires, à monter des dossiers pour quils aient le moins de reste à charge possible. »

Jean-Luc Landas.

Frédéric Pierru

Chers dépassements dhonoraires !

Le sujet des dépassements d’honoraires a été largement abordé lors du débat. Ils illustrent le dysfonctionnement du système. « Rien ne les justifie, a expliqué le Dr Ronan Jegot, jeune praticien. Et cela ne correspond pas à un savoir supplémentaire ». Pour savoir si un médecin est en secteur 1 ou 2, il suffit d’aller sur le site Ameli.fr. Le médecin doit par ailleurs vous avertir de ce dépassement, notamment par un affichage en salle d’attente. « Il est toujours possible de négocier, voire de les refuser. Mais, il faut reconnaître que le patient nest pas en position de force pour le faire, a admis Jean-Luc Landas. Il faut unir nos efforts pour les combattre. ». Plutôt que de réclamer des dépassements d’honoraires, les praticiens feraient mieux de se battre pour l’augmentation des tarifs opposables qui servent de base au remboursement par la Sécurité Sociale.

L’avenir de la Sécu, un sujet mobilisateur

La salle comble (plus de 130 personnes présentes), les nombreux échanges entre le public et les intervenants, et l’intérêt de tous, y compris des plus jeunes, pour le sujet, ont montré que l’avenir de la Sécu ne laissait personne indifférent. C’est bien sûr un sujet de satisfaction pour la Mutuelle MCRN et son président Joël Vignaud qui s’est félicité de ce succès…qui en appelle d’autres !

Stéphane Messer

Pour aller plus loin:

« Economie du médicament » (Editions La Découverte/2018) est le titre du dernier livre écrit par Philippe Abecassis avec Nathalie Coutinet. Ils sont tous les deux maîtres de conférences à l’université Paris 13 et chercheurs au CEPN (UMR-CNRS 7234 Université Paris 13).

« La casse du siècle. A propos des réformes de l’hôpital public » (Editions Raison d’agir/2019) est cosigné par Pierre-André Juven, Fanny Vincent et Frédéric Pierru, Docteur en science politique, sociologue, chargé de recherche au CNRS, membre de l’IRISSO (Paris IX Dauphine).

Mutuelle MCRN: Créée à Nantes il y a plus de 40 ans, la MCRN, mutuelle solidaire de proximité, protège plus de 10 000 personnes sur la région Pays de la Loire. Elle est ouverte à tous les assurés sociaux sans limite d’âge ni questionnaire médical. La MCRN est l’une des composantes de la Mutualité Française. Elle gère à Nantes un centre de santé dentaire mutualiste comprenant 5 fauteuils dont un consacré à l’orthodontie.